Flashback - Mars 2011

Une porte qui claque, des bruits de pas précipités, l’appel de mon nom dans un cri de terreur. Il y avait tous les éléments pour me faire paniquer, alors pourquoi je n’ai pas paniqué ? Je n’en sais fichtrement rien et pour être honnête, j’en tamponne le bouchon. Ce que je sais, c’est que c’est à partir de là, que tout est parti en vrille.

« Embarque tes affaires, on se casse ! » Je n’avais pas vu ma sœur depuis trois semaines, ce furent ses premiers mots à mon égard. Je ne savais pas si je devais être vexée qu’elle me parle sur ce ton, ou honorée qu’elle veuille que je la suive. J’aurais dû me bouger le popotin, j’ai préféré prendre mon joli temps, rien que pour la faire rager. Pour ma défense, commencer avec l’arrivée des zombies aurait été une meilleure stratégie pour dévisser mes fesses de la chaise que de me dire de préparer mes affaires. Mes affaires pour quoi ? Je venais à peine de rentrer de l’entraînement, il n’y avait aucun plan pour un week-end camping – et ce n’était même pas le week-end – bref, j’étais larguée et ma sœur savait que j’étais toujours de meilleure humeur quand on entamait une conversation avec un « bonjour » poli. Petite sœur casse-bonbons à l’appareil, que puis-je faire pour vous ?

Mon jeu n’a pas duré bien longtemps. « Bouge ton gros cul Tayler ! On a des putain de zombies pour voisins ! » Et là, j’ai paniqué. Et j’ai crié. Crié à m’en déchirer les cordes vocales, crié jusqu’à ce ma sœur me claque sa main sur la bouche. « Tu la fermes et tu m’écoutes. Tu prends l’essentiel et tu prends ton arc. Le reste tu t’en fous. » Les yeux écarquillés, j’ai vivement acquiescé et je me suis mise en mouvement. Culottes, chaussettes, soutif, t-shirt, short, coupe-vent, arc démonté, flèches et carquois. J’ai refermé la fermeture éclair au moment où Shailene revenait de la cuisine, deux gourdes dans la main. « Prête ? » Même pas le temps de répondre qu’elle m’entraînait déjà dehors. Un regard à gauche, un regard à droite et on a foncé sur la voiture de ma sœur. « Prend la quatrième sortie du rond-point. » « Non, on se casse. J’ai fait le plein hier soir, on roule jusqu’à ce qu’on ne puisse plus. » « Je laisse pas Chloe ici ! » « Considère la comme morte Tay ! » Bah oui bien sûr ! Je peux sauver ma copine d’une épidémie, mais à la place je me casse parce que ma sœur a dit que … « Shay, je sais que tu ne l’aimes pas, mais … » « Pas de mais, Tay ! Elle est morte. Comme papa, comme maman, comme oncle Coop, comme les voisins. »

C’est bon pour le moral d’apprendre d'un même coup que non seulement votre copine d’un an est morte, mais que vos parents le sont aussi. Mélangez le tout avec une petite invasion de zombies et vous obtiendrez … rien du tout au final. Si ce n’est un avant-goût de ce que deviendra votre vie.

Je crois que je n’ai jamais autant pleuré de ma vie. Je crois que c’est la dernière fois que j'ai pleuré.

Flashback - Avril 2012

La fuite était devenue une routine. La difficulté des premiers jours s’était transformée en banalité. Je n’avais plus besoin de reprendre mon souffle entre chaque flèche tirée et je n’hésitais plus à aller les récupérer du front des walkers, lorsque j’en avais l’occasion. Je ne rechignais plus à manger cru, à bouillir de l’eau pour la boire, à porter les mêmes vêtements tous les jours. Je n’aimais pas la nature, mes repas trois fois par jour et mon lit me manquaient. Je n’ai jamais été une fille pourrie gâtée, mais quel mal y avait-il à dire que ma vie d’avant me manquait ? Quel mal y avait-il à dire que je ferai tout pour revenir en arrière, retrouver Chloe, retrouver les pas de tirs et l’entraînement pour les JO, reprendre le cours de ma vie ? Ma vie qui paraît si privilégiée quand j’y repense, mais qui était si banale à l’époque. A l’époque …

Combien de temps était passé ? J’avais perdu le compte des jours. J’avais vu – et senti – les saisons passer, mais rien ne permettait de savoir quel mois nous étions. Tous les évènements se mélangeaient dans nos têtes et tous les jours ressemblaient aux autres. J’avais l’impression qu’une éternité nous séparait du début de cet enfer, mais lorsque je voyais mon reflet dans l’eau, la réalité me rattrapait et me frappait de plein fouet. Je ne savais plus quel âge j’avais, mais je n’étais pas plus vieille que le jour où tout a commencé. Ma sœur par contre …

Un sourire triste traverse mes lèvres. Repenser au passé me rappelle que ma sœur avait été en vie, me rappelle que j’avais passé des années à survivre avec elle et que je n’avais jamais perdu cette envie de la considérer comme une ancêtre. Je ne sais toujours pas combien de temps est passé, mais je sais qu’il détruit tout sur son passage.

Si je me souviens de ce jour, c’est parce qu’il marque ce jour fatal où nous sommes tombées sur Skyfall Lodge. Fatal, parce que si nous n’étions pas passé par ce chemin-là, peut-être que ma sœur serait encore en vie. Peut-être que nous serions encore ensemble aujourd’hui.

Il faisait nuit et j’avais encore perdu une flèche, faisant tomber leur nombre de 20 à 19. Secouée de tremblements, j’avais aussi froid que j’avais chaud, la fièvre me faisait délirer et j’étais terrifiée à l’idée d’avoir été griffée ou mordue. Terrifiée à l’idée de mourir et de me relever en walker.

« Shailene ! » Si je l’appelais par son prénom entier, nous savions toutes les deux que c’était sérieux. « Ferme ta gueule Tayler. » Et si elle me répondait, c’était qu’elle était terrifiée elle aussi. Dans un élan de force dont je ne me sentais plus capable, j’ai attrapé son coude pour la forcer à me regarder. « On a toujours tout fait pour ne pas avoir cette conversation, mais … » « Mais rien du tout ! On va trouver des médicaments, ok ? Les walkers ne t’ont pas touchée, c’est probablement juste un rhume. » « Un rhume aujourd’hui veut dire sida, ok ? Shay, s’il le faut … » « Je sais. » J’ai toujours détesté qu’elle m’interrompe, mais je comprenais pourquoi. Moi-même je ne voulais pas le dire, moi-même je ne voulais pas le faire.

C’était incroyablement dégueulasse, incroyablement égoïste, mais si je devais mourir, je voulais que ce soit elle qui m’empêche de me relever. En toute logique, le sentiment était partagé. J’aurais dû me taire ce jour-là.

Les jambes lourdes, les yeux à peine ouverts sous l’épuisement, je m’efforçais de marcher avec l’aide de ma sœur. Depuis des heures que je lui demandais de s’arrêter et qu’elle ne m’écoutait pas, j’avais arrêté de lui poser la question. A la place, je me contentais de compter les secondes et les minutes jusqu’à ce que je m’effondre, incapable de continuer.

« Shay. Pourquoi tu ne l’aimais pas Chloe ? » Je ne savais pas si j’avais parlé intelligemment, ou du moins, assez intelligemment pour qu’elle me comprenne. Le silence qui s’étirait me faisait croire que non, mais si. « Quoi ? Elle te vient d’où cette question ? » « Je sais pas, je me rends compte que je te l’ai jamais posé. » Son bras se resserrait autour de ma taille et dans un effort considérable, elle essayait de me redresser sur mes pieds. « Ca n’a plus aucune importance maintenant. Elle est … » C’était à mon tour de l’interrompre. « Morte, je sais. » Un pas. C’était moi, ou la nuit s’était faite plus obscure encore ? « Shay ! » Deux pas. Ma tête tournait, comme si j’avais mis les pieds dans une machine à laver et je sentais mes pieds se dérober sous mon poids. « Shailene ! »

La dernière chose dont je me souviens est son cri.

Lorsque je me suis réveillée, nous étions au manoir. Lorsque j’ai pu me lever, l’accueil a été plus que froid, mais je ne pouvais pas leur en vouloir. La contagion était dangereuse et les médicaments un luxe éphémère. Je n’ai jamais vraiment su pourquoi ils ont accepté de nous aider, j’ai toujours pensé que c’était leur côté trop bon, trop bisounours. Ce que je sais, c’est que sur ordre de Shailene, nous sommes restées. Ce que je sais, c’est qu’en faisant ça, elle a signé son arrêt de mort.

Flashback – Août 2013

« Ça te tuerait de faire un effort ? » « Je fais un effort ! » Levant les yeux au ciel, je soupirais dans le maigre espoir que ça me calme. Futile. « Tu te rends compte qu’on dirait moi, là ? » « Ne m’insulte pas, s’il te plaît ! » Pardon ? Les yeux plissés, je lui attrapais le bras pour la tourner vers moi, violemment. C’était quoi son problème ? « C’est quoi ton problème exactement ? » « TOI ! C’est toi, mon problème ! » Surprise, je sursautais et reculais d’un pas, le temps de me redresser et de me préparer à ce qui allait suivre. « Toi, avec ton putain de talent pour t’enticher de ceux qui finiront toujours par te poignarder dans le dos. Et le pire, c’est que tu ne t’en rendras compte que le jour où ça t’arrivera littéralement. D’abord Steve et Tony, puis Kendra, Chloe et maintenant eux ! » Je n’arrivais pas à voir le rapport entre ma bande de potes, mes ex et les mercenaires qui venaient de débarquer sur leurs beaux chevaux blancs dignes de celui d’Henri IV, mais je préférais laisser couler.

Attends, pause, retour arrière … « Woho, quoi ? Chloe ? » « Putain, mais oublie-la Chloe !! » Je n’avais que rarement vu ma sœur aussi en pétard. Ce n’était pas quelque chose qui m’avait manqué. Avec ses cris perçants et ses bras qui bougeaient dans tous les sens, c’était la recette pour perdre un œil et avoir une migraine. « C’est toi qui vient de parler d’elle ! » « Ce n’est pas le sujet et tu le sais. » « Non ! Non je ne sais pas. Je ne sais rien Shailene ! Ça fait 84 ans qu’on est ici et je ne sais plus rien de ce qui se passe dans ta tête ! » « On s’en branle de ce qui se passe dans ma tête. Le plus important c’est toi ! Et tes putain de conneries ! » Mais bordel, quelles conneries ?

Prenant une grande inspiration, je passais mes doigts sur mes yeux pour me calmer. Je ne savais même pas quoi lui répondre. Ce dialogue de sourd me donnait mal à la tête et ne faisait que me confirmer ma plus grande peur : nous étions devenues des inconnues. Nous ne parlions plus le même langage et nos efforts pour communiquer étaient futiles.

« Tu vas te faire tuer si tu restes avec eux, Tayler. » La colère retombée, je voyais la fatigue dans son regard et l’inquiétude. « Toi aussi. » avais-je murmuré alors.

Nous allions nous faire tuer de toute façon. Survivre c’était courir contre-la-montre et un jour, le temps nous rattraperait. A une époque, j’aurais dit qu’il fallait bien mourir de quelque chose. A présent il fallait simplement tout faire pour retarder l’inévitable et à mes yeux l’inévitable se rapprochait bien trop vite avec le groupe d’Oscar. J’avais appris à les apprécier, ce n’était pas la question, mais plus le temps passait, plus j’avais envie de les tarter avec leur presque pacifisme à la noix. La meilleure défense c’est l’attaque et ils n’étaient pas bons en attaque. Ils représentaient l’attaque trempette dans toute sa splendeur  … Alors ouais, j’allais me faire tuer avec les mercenaires. Mais beaucoup moins vite – si je m’y prenais bien – qu’avec la bande d’Oscar. Je n’oubliais pas qu’ils m’avaient sauvé, que sans eux je serais probablement déjà morte, mais si j’avais été à leur place j’aurais achevé le malade frappant à ma morte.

Flashback – Février 2014

Panique. Terreur. Cauchemar. C’était tout ce que j’avais prédit et la pire des journées possibles. C’était un cauchemar éveillé. C’était l’incarnation parfaite de ma vie depuis ce premier jour fatal. C’était le premier jour de ma nouvelle vie. Celui qui a tout précipité. Le jour où ma sœur est morte.

Il était bien trop tard pour penser à un plan. Il fallait courir, s’enfuir, prendre ses jambes à son cou et ne pas regarder en arrière. Les bisounours préféraient se compter mille fois plutôt que de courir, mais je m’en fichais. Dans ma tête, je les avais déjà abandonnés à leur destin. Dans ma tête, je ne faisais plus partie de leur troupe depuis longtemps. Malheureusement, ils avaient avec eux la seule chose qui pouvait me faire m’attarder. Et malheureusement pour moi, je ne la trouvais pas. Sac sur le dos, arc en main, flèche encochée, je poussais à travers la masse d’idiots qui se cherchaient alors qu’ils étaient littéralement sous leurs propres yeux, le cœur battant à une vitesse telle que j’avais peur qu’il s’échappe de ma poitrine. La boule qui avait émis résidence dans ma gorge m’empêchait de crier, mais son nom résonnait dans ma boite crânienne, dans l’espoir vain qu’elle m’entende tout de même. Ce n’est que lorsque j’ai osé poser mon regard sur la horde que je l’ai vue. Et je savais que tout était déjà terminé.

Le hurlement qui s’échappait de ma bouche n’était probablement humain, mais c’était toute la peur de ces années passées à survivre à ses côtés, toute la douleur à l’idée de continuer sans elle, toute la haine que j’éprouvais envers ces pourris que j’évacuais.

Un œil fermé, je libérais la flèche encochée, puis trois autres pour achever les autres walkers qui entouraient ma sœur. Je ne pouvais pas la récupérer, je le savais. Elle le savait aussi. Elle était mordue et si la horde ne la tuait pas avant, elle les rejoindrais bientôt. L’inévitable était tombé pour elle et je sentais le monde autour de moi s’effondrer comme un château de carte. La terreur et l’horreur me faisaient trembler, la rage me faisait bouillir, l’anéantissement me paralysait. Et pourtant je devais bouger. Je n’avais plus le temps de m’attarder. Je n’avais plus de raison de rester. Je voyais ses lèvres bouger tandis qu’elle s’avançait vers moi et que je reculais. Je voyais le supplice dans son regard et je sentais mon cœur se déchirer. C’était terminé. Shailene O’Connell n’était plus et ma vie telle qu’elle l’avait été ces dernières années n’avait plus aucun sens. Et je savais ce qu’il me restait à faire. C’était ce qu’elle me demandait. C’était ce que nous nous étions promis. Je ne savais pas si j’en étais capable.

Je décochais une cinquième flèche. De 19, j’étais passé à 14. Puis une sixième. 13. « Tayler ! » Une septième. 12. Ce fut son dernier cri, son dernier mot.

Je n’oublierai jamais l’image de son corps sans vie tombant au sol, cette flèche coincée entre ses deux yeux. Je n’oublierai jamais le son de sa voix, ni même le son de son rire. Je n’oublierai jamais cette habitude qu’elle avait de me materner, de me protéger. J’aimerais pouvoir dire que je n’oublierai jamais rien de ma sœur. Mais j’ai déjà oublié son toucher, son odeur, la sensation de sa main dans la mienne … J’ai déjà oublié les petites choses, celles qui faisaient de Shay, Shay. C’est ce qui me manque le plus.

Aujourd’hui – Juillet 2014

Je n’ai pas pleuré sa mort. Je ne la pleure toujours pas. Ce n’est pas de la tristesse que je ressens, c’est une colère incommensurable, une rage si intense que je serais prête à massacrer une horde de walker à main nues s’il le fallait. C’est ce qui me fait avancer. C’est ce qui me fait exister. Auprès des mercenaires, je réalise que je ne suis pas la seule et étrangement, ça ne me fait pas de bien. Ma haine des walkers ne fait que se décupler au fil des mois et je me fais peur. J’ai peur de savoir jusqu’où je pourrai aller, peur de ne plus connaître mes limites. Je fais avec pourtant, car si je ne me reconnais plus je dois au moins admettre que cette nouvelle fille me sauve la vie.

L’inévitable peut s’abattre à tout moment, d’une manière ou d’une autre. Par les walkers, ou par un meurtre comme avec Lucrezia. Par une chute stupide ou par une maladie inattendue. Peu importe au fond. Je me fous de savoir comment je vais mourir, tant que je peux emporter avec moi, ou avant ça, le plus de pourritures possibles.