Lorsque Liadan vint au monde, rien n’eut pu laisser croire la tournure que prendrait les choses. Elle était un accident et, pour les O’Dwyer, une bouche de plus à nourrir après la venue de son frère aîné, Eoghan. Ces individus ne s’étaient jamais vraiment destinés à avoir des enfants, prisonniers d’une médiocre existence étriquée où rien ne comptait davantage que l’alcool et la perspective de l’argent qu’il n’obtenait jamais. Alors, lorsque leur seconde enfant apparut dans leur vie, elle fut rapidement délaissée, laissée sur les bras d’un frère contraint de s’occuper d’elle. Il fut le premier, au bout de quelques mois, à comprendre que quelque chose n’allait pas. Ses pleurs étaient incessants, mais surtout, son regard se faisait souvent vague, comme si elle ne voyait pas vraiment ce qui se passait autour d’elle. Elle tarda à marcher, encore plus à parler et semblait ne pas supporter d’être prise dans les bras de qui que ce soit. Malgré la répugnance de ses parents à dilapider leur argent de cette manière, ils furent bien contraints de la faire examiner par divers psychiatres. Elle fut tour à tour diagnostiquée autiste, puis schizophrène, dépressive ou atteinte de troubles obsessionnels compulsifs. Ces diagnostics incertains furent accompagnés d’un nombre incalculable de traitements inadaptés qui n’arrangèrent en rien son état.
Enfant, elle était déjà extrêmement lunatique. Tantôt elle recherchait désespérément des marques d’affection, tantôt elle les fuyait. Quant aux étrangers, la plupart lui faisait peur et elle évitait en général de leur adresser la parole. Elle n’apprit d’ailleurs à parler que très tardivement et conserva certains défauts d’élocution, comme confondre un mot avec un autre ou buter sur certaines syllabes. Elle semblait vivre entièrement dans son propre monde, et pourtant, elle comprenait beaucoup plus de choses qu’il n’y paraissait. Elle comprenait qu’elle usait la patience de ses parents au point qu’elle les agaçait sans cesse. Elle comprenait que ses camardes d’école se moquaient d’elle parce qu’elle agissait de façon étrange. Elle comprenait que son frère était le seul ami qu’elle avait. A cause de ses médicaments et des moqueries qu’elle subissait constamment, la vie en communauté lui parut de plus en plus insupportable. Elle se mit à lui préférer, et de loin, la solitude, développant des passe-temps bien spécifiques. Il devint rapidement évident qu’elle était intelligente, et même brillante. Elle s’intéressait aux mathématiques et à la physique en particulier. Elle aimait construire des choses, inventer des mécanismes divers et était dotée d’une mémoire impressionnante. Elle aimait également beaucoup observer les animaux et photographier tout ce qu’elle pouvait voir. Souvent considérée comme une gêne par son entourage et incomprise, elle passait le plus clair de son temps à traîner seule dehors, quand Eoghan ne la surveillait pas. Elle considérait Galway comme son univers et s’y était toujours sentie en sécurité. Il en allait autrement de ses habitants, qu’elle fuyait en général, à l’exception de quelques rares élus qu’elle acceptait de côtoyer.

Les années passèrent, ses traitements changeaient, mais rien ne s’améliorait, bien au contraire. Ses humeurs ne cessaient de varier : elle pouvait rire et pleurer à tour de rôle sans aucune raison particulière et, plus inquiétant, elle développa des comportements violents. Elle supportait de moins en moins qu’on la touche sans qu’elle en ait donné l’autorisation ou encore qu’on puisse se moquer d’elle. Elle pouvait pousser, frapper, sans avoir vraiment conscience du mal qu’elle pouvait faire, jusqu’à ce qu’il fût fait. Mais la violence dont elle faisait preuve s’exerçait principalement contre elle-même. Elle s’aimait et se détestait à la fois, et l’exprimait en blessant et mutilant son propre corps. Face aux reproches et inquiétudes de ses professeurs, ses parents commencèrent à considérer l’internement de manière sérieuse, et ce malgré les protestations de leur fils aîné. Il n’aurait pas eu son mot à dire si à ce moment même les forces de l’ordre n’avaient pas découvert que les O’Dwyer synthétisaient de la méthamphétamine dans leur sous-sol, sans que leurs enfants n’en aient jamais rien su. Ils furent arrêtés, puis condamnés à plusieurs années de prison. Eoghan, majeur depuis peu, batailla durant des mois afin d’empêcher que sa soeur soit internée en hôpital psychiatrique et finit par gagner le droit de la garder auprès de lui. Il la retira de l’établissement qu’elle fréquentait et opta pour une scolarisation par correspondance, persuadé qu’elle pourrait s’en sortir et avoir un jour une vie normale, ou s’en approchant. Après avoir été extrêmement perturbée par les procès à répétition et les changements intervenus dans sa vie, Liadan connut pour la première fois de sa vie un climat beaucoup plus serein et put faire de nombreux progrès. Elle était toujours lunatique, souvent aussi capricieuse qu’une enfant et paraissait détachée du monde qui l’entourait, en particulier des gens, mais elle semblait avoir moins peur des autres, ou d’elle-même. Elle conservait un retard important sur le plan émotionnel, mais il lui arrivait d’avoir certains éclairs de lucidité déroutants. Malgré son instabilité, elle parvint à mener une vie d’adulte à peu près normal, à se débrouiller seule et finit même par trouver un travail pour la toute première fois de son existence.

Partir en Ecosse signifiait perdre tous les repères qu’elle s’était construits. Un véritable drame pour elle. Mais laisser Eoghan s’en aller seul aurait été bien pire. De même, il était hors de question pour lui de l’abandonner. Il n’avait tout simplement pas le choix. On lui offrait un bon emploi à Glasgow, ce qu’il ne pouvait se permettre de refuser. Malgré la manière dont cela menaçait sa stabilité, elle le suivit dans un pays qu’elle ne connaissait pas. Elle se sentit complètement perdue, comme arrachée à ses racines. On lui avait dit que l’on pouvait s’habituer à tout. Elle n’en eut pas vraiment le temps. Quelques semaines à peine après leur arriver, les walkers envahirent la ville. Ils avaient entendu des rumeurs auparavant, mais n’y avaient jamais vraiment cru. Des zombies, c’était digne d’un film d’horreur, non ? Ca ne pouvait être réel. Et pourtant, ça l’était. Sans son frère, elle aurait sans doute péri depuis bien longtemps. Ensemble, ils fuirent la ville avec un petit groupe de survivants. Confrontée à ce à quoi elle n’aurait jamais cru devoir faire face, elle se renferma peu à peu, acceptant difficilement d’interagir avec qui que ce soit d’autre que son frère. Après de très nombreux mois passés sur les routes, ils parvinrent au manoir Skyfall, où ils trouvèrent refuge, où ils purent se poser, enfin. Sentant que sa présence n’était pas toujours appréciée, Liadan se tenait la plupart du temps à l’écart et ce ne fut qu’au fil du temps qu’elle accepta d’adresser la parole à d’autres qu’Eoghan.
Elle n’aurait su dire combien de temps ils étaient restés. Le temps n’avaient plus vraiment cours. Mais peu à peu, il avait commencé à sentir que les marcheurs se rapprochaient. Plus nombreux, plus agressifs. Avant que cela ne devienne nécessaire, il prit la décision de quitter les lieux, et elle le suivit bien évidemment. En chemin, ils rencontrèrent un petit groupe qui se dirigeait vers le nord du pays. Quelques jours plus tard, ils subirent une attaque de zombies qui fut un véritable massacre. Le frère de la jeune femme la poussa à se cacher, lui promettant qu’il viendrait la chercher ensuite. Mais il ne revint jamais. Elle attendit longtemps, avant d’avoir peur et de partir à sa recherche, sans succès. Seule et perdue, elle était à moitié morte de faim et de froid lorsqu’elle fut trouvée par quelques  voyageurs. Contrainte de les suivre, elle fut menée jusqu’à un groupe aux environs du Loch Ness où elle décida de rester, persuadée que son frère était encore en vie et la retrouverait tôt ou tard...